Terre brûlée au vent, des landes de pierre, autour des lacs, c’est pour les vivants, un peu d’enfer, le Connemaraaaa […] Vous l’attendiez tous un peu, non ? Ne me remerciez pas pour vous l’avoir mise dans la tête, personnellement je l’ai chantonnée toute la journée. Départ tardif, encore, cette fois car j’attends le propriétaire pour payer le camping. De gros nuages se sont accrochés dans les montagnes alentour, il fait froid et humide. Je n’ai pas pu attacher la tente correctement, faute d’arbre, alors j’ai pris l’eau toute la nuit (oui, il a plut, ça vous surprend encore ?). Je ferai sécher le matériel ce soir, car ma journée s’annonce très belle et ensoleillée. Ça se confirme dès que je reprend le pont pour quitter Achill Island. Je tombe la veste, la chaleur monte, le soleil se montre, le GPS indique 25°. Vous allez me dire que je ne suis jamais content, mais après des jours de pluie et de froid, j’ai du mal à m’adapter à cette -relative- chaleur soudaine. Petit arrêt café dans une station service ; les irlandais sont de particulièrement bonne humeur aujourd’hui, on m’apprend que cela fait des jours, voir des semaines, qu’il n’y a pas eu une météo pareille. Je redescends vers le Connemara, en passant par les terres (désolé papa !). Je suis sur une incroyablement belle voie verte, c’est assez rare pour être pointé du doigt. Asphalte neuve et lisse, paysages à couper le souffle, j’en profite pour forcer un peu l’allure, pour une fois que le vent ne me gêne pas. Quelle matinée agréable ! J’achète à Newport de quoi manger et je trouve même dans une petite quincaillerie… un Opinel. Croyez le ou non, j’étais parti sans couteau, ce qui explique en partie mon alimentation pauvre en fruits et légumes (en tout cas, entiers). Finalement, je pousse jusqu’à Westport car, à l’instar de Judas dans Jesus II, “je n’ai… pas très faim” ; en même temps le repas ne s’annonce pas très catholique puisque je m’apprête à découper un avocat péruvien à coups de couteau (l’intrigue d’un mauvais film de mafia ?). Je dépasse en fait la ville, car vraiment je suis en pleine forme, il faut dire que j’ai été bien réveillé par un sport que, je crois, je commence à maitriser : l’évitement de chiens de ferme. Si jamais la situation s’impose à vous, sachez que tout est une question de timing. Lorsque le chien vous voit, il a tendance à naturellement se placer devant le vélo. Ne changez pas de cap, malheureux ! Il en profiterait. Au contraire, il faut attendre qu’il se déplace de lui-même sur le côté, se préparant à déguster du cuissot de cycliste pour son déjeuner. Lorsqu’il n’est plus qu’à moins d’un mètre (voir avant), rétrogradez et donnez tout, c’est le moment de placer votre meilleur sprint, à faire pâlir de jalousie l’Ours Slovène. Une fois à distance raisonnable, prenez un instant pour profiter de la mine déconfite de votre adversaire qui, aujourd’hui, rentrera broucouille de sa vadrouille matinale. Vous pouvez sinon tenter le coup de talon lorsqu’il est à portée, mais attention à ne pas provoquer l’ire du propriétaire qui, lui, maîtrise probablement très bien le lancer de fourche. Je finis ainsi par arriver bien proche des premiers sommets du Connemara. Je prends ma pause déjeuner sur une grande pierre plate, devant un paysage grandiose. Pas de chance, juste après je passe mon premier col de la journée, avec les grandes tartines dans le ventre, c’est plus compliqué. De l’autre coté, je découvre les fameux grands lacs. Les montagnes qui y trempent les pieds sont verdoyantes, couvertes de tourbe humide. Je m’arrête dans un joli petit café pour boire mon americano devant l’eau. Il est déjà 16h et je commence tout juste à m’inquiéter de savoir comment je vais pouvoir passer sur l’une des îles d’Arlan ce soir. Ma bonne étoile me dit en effet qu’elles sont parmis les plus belles à découvrir sur la côte ouest. Un rapide coup d’oeil sur les internet me renseigne : dernier départ à 18h30, le terminal est à 44 km en prenant le chemin le plus court. C’est dans mes cordes, mais il ne faut pas traîner, car je dois d’abord m’extraire de la cuvette dans laquelle je suis, ce qui implique obligatoirement un petit passage de “col” (tout ceci est très relatif, il n’y a pas vraiment de grand sommet). Je mémorise rapidement la route et c’est parti, à plutôt vive allure. Je profite une fois de plus de la quasi absence de vent pour filer sur la départementale qui mène vers la côte. Rapidement, un segment à 10% brise mes rêves de vitesse, mais dès qu’il est franchi, je découvre avec bonheur d’autres lacs immenses, vu d’en haut, de petites taches bleues dans les marécages. Je poursuis ma route, prenant petit à petit de la vitesse ; je me laisse griser par mon contre-la-montre tout en légèreté. Au détour d’un grand virage cependant, un lac, bien plus grand que les autres, on dirait la mer. Je l’ai bien repéré sur la carte avant de partir, mais ne devrais-je pas être au nord de celui-ci plutôt qu’au sud ? Je m’arrête, consulte les oracles de Google. Je découvre avec désespoir que je me suis effectivement trompé, j’ai oublié de bifurquer au dernier village. À ce moment là, je réalise trois choses : 1. En me retournant, je constate que j’avais bien le vent dans le dos. 2. J’ai roulé si inconsciemment que j’ai fait 14 km depuis l’embranchement. 3. Je suis désormais à 47 km de l’embarcadère et il ne me reste plus que 1h30 pour attraper ce fichu bateau. Je suis désespéré, c’est un peu ma seule occasion de voir les îles. Un rapide calcul plus tard : je pense que c’est possible, en roulant vraiment fort ; je tente le tout pour le tout. Cette fois, bassin vissé sur la selle, position aero, recroquevillé sur les prolongateurs, je donne tout car il faut aller contre le vent. Je retombe vite sur la portion à 10%, je l’engloutis aussi vite que possible. En haut, pas de répit, je m’écrase sur le guidon et prend les meilleurs virages possibles. La gomme japonaise de mes pneus agrippe le bitume sans jamais faillir. Je suis à l’intersection, il me reste 33 km, 1h. Étant de retour dans la cuvette de 16h, je dois à nouveau franchir un col, par la vraie route de l’ouest cette fois. C’est beaucoup moins ardu mais très long. Une fois de l’autre côté, c’est le même scénario, je courbe le dos et c’est tout “à la pédale”. Les cuisses et les pneus chauffent. Je ne tente pas le supertuck car je ne tiens pas à laisser tomber tout espoir de descendance à cause d’un coup de tube supérieur mal placé (nous sommes sur des routes irlandaises, rappelons-le, et les nids-de-poule, permettez-moi l’expression, mais c’est plutôt des nids de dindons). 29, 32, 35 km/h, je repousse mes limites pour atteindre une moyenne qui me permettra d’arriver à temps. La douleur est rapidement insoutenable, mes cuisses brûlent, sans parler de mon derrière. Enfin, un panneau salvateur annonce le ferry à 2 km, après un embranchement à droite. Pas de chance, le vent a décidé de s’y inviter. J’hurle un peu de désespoir (je dois faire un peu peur, j’avoue, avec ma bave aux lèvres). Enfin, j’arrive au terminal, je me rue dans le bureau, dégoulinant de sueur. On m’accueille avec rires et applaudissements de rigueur, car tout le monde comprend bien ce qu’il vient de se passer. Il est 18h31, le bateau n’est pas encore à quai, on me vend mon ticket. La traversée se déroule sans encombre : je sombre instantanément dans un sommeil profond après n’avoir pu prendre que quelques photos. L’arrivée au soleil couchant est un régal, le camping est juste à côté du port, je m’installe. Il y a, comme bien souvent en Irlande apparemment, une salle commune où je trouve des provisions laissées là par d’autres voyageurs (et oui, avec tout ça, je n’ai pas eu le temps d’acheter de dîner). Demain, je ferai un petit tour de l’île, avant de reprendre un ferry qui me ramènera sur le “mainland”. Tant pis Galway, ce sera pour une prochaine fois !
Commentaires
Dad
Ton récit ressemble à un combat de boxe : à droite, à gauche, boom la pluie, uppercut du chien, pour finir swing du sprint… Haletant tout Ça !! Aaran : un client dans sa journée lui suffit. Le parcours, son canasson le connait par cour. On le reconnait à son vieux pull rayé vertical par une trainée de soupe sédimentaire…. Incompréhensible, peu ragoutant mais Jerry a une botte secrète….He’s got a roof !!!! Hi Jerry, come on son keep sunning.
Yann
Et bien ! Que de suspens dans ton écrit :D Tu as dû vivre une journée tambour battant, dur dur ! Jusqu’à la douleur… Les paysages sont magnifiques ! Une nouvelle fois, cela me donne envie de voyager en Irlande. J’ai vu sur la carte la ville de Louiseburgh, qui est jumelée avec ma commune. J’espère que ton cerveau, que je sais grand et puissant, réussit à imprimer tous ces paysages. J’imagine un film en slow motion de tout ton parcours, ça fait rêver à nouveau. Alors, continue cette belle aventure ! A demain, bises
Moum
Tu es décidément passé maître dans l’art de l’esquive Ivan! J’ai encore en mémoire tes anecdotes avec les patous!!🐶 Quelle course!! Tu te souviendras du Connemara! Quelle splendeur! Et 25° en plus, ouahou! Je te prédis un rêve d’île aujourd’hui! Keep surfing on the road again!😘